Auteur : Pr Olivier Dulac
Édition Odile Jacob
2023
288 pages
Tarif indicatif de 24,90 €
« Ce livre est le témoignage d’un médecin qui a choisi une discipline naissante et qui a grandi avec elle », et j’ajouterai qu’il a fait grandir. Ainsi parle le professeur Olivier Dulac, fondateur de la neuropédiatrie à l’hôpital des Enfants malades à Paris et qui a consacré sa vie aux enfants souffrant d’épilepsie.
Dans sa préface, Denis Piveteau indique à juste titre « qu’il y a plusieurs livres dans ce livre, comme il y a plusieurs vies dans une vie ». En effet, c’est d’abord l’autobiographie d’un pédiatre qui s’est toute sa vie occupé des enfants épileptiques. Des expériences familiales douloureuses sont à l’origine de sa motivation et de son dévouement au service des enfants souffrant d’épilepsie. Sa sœur mourut d’une sclérose latérale amyotrophique après des années de souffrance et son neveu est devenu épileptique après une hémorragie cérébrale à la naissance. Olivier Dulac nous fait part de près de 50 ans d’expérience, pendant lesquels son regard médical a évolué à l’aune des immenses progrès médicaux sur la connaissance et le traitement des encéphalopathies épileptiques, progrès auxquels il a fortement contribué.
Olivier Dulac parle de ces maladies à multiples facettes, mieux définies aujourd’hui grâce à ses recherches. Ces épilepsies rares sont très diverses, car elles sont liées au fonctionnement du cerveau en plein développement. Grâce aux efforts conjugués de l’imagerie cérébrale, de la génétique et de la neurophysiologie, il a montré leur diversité, ce qui implique des traitements spécifiques en fonction des causes reconnues. Il explique qu’elles sont souvent liées à des anomalies du développement cérébral in utero ou après la naissance. Ces détériorations peuvent parfois se résumer à un canal ionique qui fonctionne trop ou pas assez dans la membrane des neurones. Il pourrait suffire de découvrir une molécule pour que ce canal retrouve ses fonctions. Malheureusement, la rareté de ces maladies n’incite pas l’industrie pharmaceutique à rechercher de nouvelles molécules pour ces maladies orphelines.
Dans la première partie du livre, l’auteur expose d’abord le développement du cerveau humain, depuis l’embryon, le fœtus, le nourrisson jusqu’à l’âge adulte, ainsi que le rôle des neurotransmetteurs. Il nous explique que la naissance représente une véritable rupture marquée par la destruction des neurones nécessaires à la vie aquatique devenus inutiles, un phénomène induit par le principal neurotransmetteur, l’acide γ-aminobutyrique (GABA), qui joue un rôle excitateur durant la vie fœtale et inhibiteur après la naissance. Peut-être que le dérèglement de ces régulations fines pourrait expliquer certaines épilepsies.
Olivier Dulac insiste sur le fait que les encéphalopathies épileptiques sont dominées par un handicap cognitif et moteur. Elles sont source de souffrances et de détresse pour les enfants et leurs parents, car elles détruisent les perceptions sensorielles, brouillant la communication avec l’entourage, altérant la mobilité, le sommeil, bloquant les apprentissages. Elles ne sont pas reconnues par la société, étant étiquetées par le ministère de la Santé comme « épilepsies rares » lors de la création du centre de référence destiné à leur prise en charge. Il plaide pour sortir de l’ombre ces encéphalopathies épileptiques qui devraient être considérées comme un handicap majeur qui va persister jusqu’à l’âge adulte et qui est un poids considérable pour les parents. Il nous rapporte de nombreux récits d’histoires cliniques d’enfants atteints de diverses formes d’épilepsie. C’est un livre plein d’humanité, un plaidoyer pour que les parents acceptent de regarder leur enfant comme un être « différent », au lieu de dire « si mon enfant doit garder des séquelles, je préférerais qu’il meure. »
L’auteur indique qu’il a mis du temps à découvrir la richesse du dialogue avec les parents, dont il fait le socle de sa pratique. En effet, les symptômes décrits sont souvent éphémères et le témoignage des parents devient précieux pour préciser le diagnostic. Il a appris progressivement que la meilleure solution était de tout dire à la famille, de ne pas laisser de vains espoirs, de parler vrai, quel qu’en soit le prix, même si beaucoup ne veulent pas connaître le diagnostic. Il fait intervenir directement dans son livre trois témoins privilégiés, une anthropologue, Tania Korsak, un cinéaste, Nils Tavernier, et un philosophe, Jean-Paul Amann. Ce livre est en quelque sorte le testament d’un des pionniers de la neuropédiatrie, facile à lire et riche d’enseignements.
Patrick Berche